119. «Je désire de la bonté, et non des sacrifices»

(aux pharisiens, suite des précédents)



Mt 12, 7 

 

 

Si vous saviez ce que c'est que : «Je désire de la bonté, et non des sacrifices», vous n'auriez pas jugé coupables ceux qui ne sont pas en tort. 

 

 




Matthieu avait déjà cité cette parole de Dieu (Os 6, 6) dans une des controverses précédentes (n° 71). Elle vient ici à point pour préciser un des éléments de cette hiérarchie des valeurs dont je parlais à propos du Dit précédent.

Le Temple était par destination le lieu des sacrifices. Après qu'une parole de Jésus a montré que ces sacrifices étaient un cran au-dessus du sabbat, si bien qu'ils justifiaient les manquements aux interdits du sabbat, une autre parole déclare aussitôt que la religion des sacrifices n'est pourtant pas la valeur suprême. Encore un bon cran au-dessus se trouve la bonté.

Depuis très longtemps, les prophètes s'efforçaient de relativiser la religion des sacrifices, au point de donner l'impression qu'ils la condamnaient. En fait, ils condamnaient l'abus qu'on en faisait quand on la mettait au-dessus de toutes les autres valeurs et qu'on la croyait capable de suppléer celles-ci. Déjà Samuel, en notifiant à Saül qu'il s'était attiré la réprobation et le rejet du Seigneur, lui disait : «L'obéissance est préférable au sacrifice» (1S 15, 22), autrement dit le sacrifice intérieur de la volonté est préférable à celui des bêtes rituellement immolées. Osée, que Jésus cite ici, va plus profond encore ; obéir, c'est-à-dire soumettre ses décisions à celles de Dieu, est déjà une manière très haute de s'unir à lui ; mais Dieu désire (au sens le plus fort, voir nos 50, 61, etc.) que l'homme l'imite, ou plutôt le reflète, jusque dans l'attitude la plus foncière de son coeur, cette bonté qui est en lui absolument première et inconditionnée et qu'on désigne aussi du nom de miséricorde.

Il est superbe que, de ce sommet des sommets, on soit ramené d'un seul coup d'aile à la très, très humble situation d'où on est parti : des gens qui ont faim, et dont il fallait avoir pitié. La bonté de Dieu, ou son amour, qui est en haut de toute échelle imaginable, se penche sur les besoins physiques, tout en bas.

Prises dans cet immense mouvement, l'observance des rubriques et la pratique (coûteuse !) des sacrifices perdent beaucoup de leur poids et, par suite, de leur tyrannie.

Quel est celui des «bons chrétiens» qui n'a pas besoin de s'entendre rappeler à cette vision du monde «à temps et à contretemps» (2Tm 4, 2) ?